Matoub aux USA - 1993 et Notre Hommage
Voir aussi les témoignages (Merzouk Allache et Rabah At Umghar) à la fin de ce texte, parlant du séjour de Matoub en 1993 aux USA. Voir aussi l’hommage des chanteuses Noria et Melissa.
Notre hommage :
Il était au sommet de sa carrière. Il avait 42 ans. Durant sa vie brève, il avait dit tout ce qu’il fallait dire.
Que représente Matoub Lounes pour chacun de nous Kabyles ? et chacun de nous Amazigh ? et aussi pour tous ceux qui aiment sa poésie, sa musique et ont de la sympathie pour le combat identitaire Kabyle et Amazigh?
C’est cette même question que certains membres de l’Association Culturelle Amazighe en Amérique (Amazigh Cultural Association in America (ACAA)) se sont posés durant la rencontre de la commémoration en 2012, du 14eme anniversaire de sa mort, tenue à Bridgewater dans l’état de New Jersey, aux Etats Unis.
Si pour moi - qui a vécu mon enfance en Kabylie durant les années 1950 et ma jeunesse dans les années 1960-1970- Cheikh El Hasnaoui représentait le poète de l’exil et le chantre de la femme Kabyle, je peux dire que Matoub Lounes représente et incarne l’âme Kabyle, si on peut parler d’une âme communautaire.
Matoub tout court ou Lwenas tout simplement (bien qu’il y ait d’autres Lwenas) disait tout haut ce que chaque Kabyle pensait tout bas. Il était un observateur de son temps et de la société Kabyle. Sa poésie, ses chansons sont une réflexion de ce qu’il observait.
A travers sa musique et ses paroles, il chantait tout ce qui est beau, majestueux, sublime, courageux, pur comme la pureté de l’air qu’on respire dans les montagnes de Kabylie, respect comme pour la dignité de la personne et la sagesse des ancêtres, l’innocence comme celle qu’on trouve chez les enfants de chez nous qui sont restés proches de la nature. Mais aussi, il parlait de la division, du manque de solidarité, et de la perte de nos valeurs ancestrales.
Etant très attentif à ce qui se passe dans la société, durant l’été 1988 il avait sorti une chanson pour parler de l’inflation galopante. C’était un avertissement que la situation était intenable. En rentrant de vacances cet été-là, j’ai dit à un ami que la situation allait éclater. L’inflation était le précurseur à la révolte du 5 Octobre 1988 qui sera matée par la violence et la mort de plus de 500 personnes civiles sous les balles de la gendarmerie, police et de l’armée qu’on voulait nous faire croire être digne héritière de...
Matoub a aussi parlé du passé comme dans sa chanson sur la révolte de la Kabylie en 1962-63 durant laquelle l’armée Algérienne a tué plus de 400 Kabyles qui ont combattu l’armée française pour l’indépendance de l’Algérie, et qui se sont révoltés contre l’usurpation du pouvoir.
Nous avons un dicton qui s’applique à Matoub : « albaḍ yella ulac-it. Albaḍ ulac-it yella » qui veut dire «il y a qui vivent mais n’existent pas, il y a qui ne vivent pas mais existent. ». Matoub est de ceux qui existent mais ne sont plus de ce monde.
Bien qu’il ne soit plus parmi nous, il existe et vit dans chacun de nous. Il existe dans les jeunes chanteurs et chanteuses Kabyles mais aussi Amazighe du Maroc et d’ailleurs qui chantent ses chansons. Des artistes comme Noria et Melissa Sekhi (voir liens YouTube ci-dessous).
Matoub à l’invitation de ACAA, a donné un concert à New York en Mai 1993 au profit de l’association ACAA. Durant le concert il a chanté des chansons de son prochain album (cassette), parmi lesquelles l’hommage au président Boudiaf, lui aussi assassiné.
Il avait aussi donne un concert à l’université de California, Berkeley, près de San Francisco, organise par et en faveur de ACAA. Sur la cassette qui allait sortir plus tard, il avait mis la photo d’une plaque que les membres de l’association en Californie lui ont remis pour le remercier de sa contribution à la culture Amazigh. Et c’est ainsi que l’association sera connue par des milliers de Kabyles. Voir la photo de la plaque qu’il avait apprécié beaucoup, d’après Merzouk Allache.
Je l’avais invité pour déjeuner à midi, chez moi à Bridgewater, New Jersey. Il devait venir avec un petit groupe. Ce n’est que vers trois ou quatre heures qu’il arrivait, accompagné d’une dizaine de personnes. Je n’ai pas eu le temps de prendre part à la discussion, étant très occupé à cuisiner pour nourrir tout le monde.
Une autre fois il est venu et avec quelques membres de l’association, on avait diné à Morristown, NJ. Une chose que je regrette, c’est de ne l’avoir pas fait visiter le quartier général de George Washington qui était à trois kilomètres du restaurant.
Il m’arrive souvent de fredonner les premiers versets de cette chanson dédié à la mémoire de Boudiaf :« awah awah a tudjal, ruhen irgazen ur n uxlal » (Oh vous les veuves, nous savons qu’il y a des hommes qui ne méritaient pas leur sort).
Comme je fredonne les versets de cette autre chanson sur la révolte du FFS de 1963, appelant à l’unité du peuple Kabyle, quand j’observe tristement les divisions de la société Kabyle : « Ekret ay ilmezyen naɣ, xumlet iy ɣalen-nwen » : Levez-vous Jeunesse Kabyle, retrousser vos manches.
C’est grâce à des chanteurs et poètes comme Matoub que la diaspora Kabyle est restée à l’écoute de la Kabylie et aussi à l’attachement et à la préservation de la langue Kabyle dans la diaspora. Et mêmes ceux parmi nous qui n’ont pas perdu la langue, les chansons de Matoub sont une source pour se replonger dans notre culture en apprenant même des mots nouveaux ou de se rappeler des mots qu’on avait longtemps oublié.
Matoub, avec tout ce qu’il a produit, restera toujours une source d’inspiration et d’appréciation pour les générations d’hier, du présent et de l’avenir. Il a été, il est et restera partie intégrante de la société Kabyle. Parce que comme lui-même l’a si bien exprimé dans une de ses chansons :
« a lɛemr-iw a lɛemr-iw, a lɛemr-iw, ḍ iḍurar iḍ lɛemr-iw» : Mon âme, mon âme, les montagnes (de Kabylie) sont mon âme. On peut ajouter : Lwenas Lwenas, a lɛemr-naɣ iḍ Lwenas : (Lounès, Lounès, notre âme, c’est toi Lounes).
Matoub était le fils adoptif de toutes les vieilles femmes sans enfants. Il était le frère des filles et garçons sans frères, l’idole des jeunes et des vieux, la voix de tous les Kabyles qui sont opprimés et de ceux qui ne pouvaient pas s’exprimer. Il manipulait le mot et le verbe comme il manipulait aisément sa guitare et sa mandoline. On l’a surnommé le Rebelle.
Le meilleur hommage qu’on puisse faire individuellement et collectivement à Matoub c’est de préserver et enrichir la langue et la culture Kabyle en particulier, et la culture Amazigh en général, par les autres communautés Amazigh. Donc continuer à produire pour construire la maison sur les fondations que représente l’œuvre de Matous Lounes.
Jeunesse Kabyle, Jeunesse Amazigh, prenez le flambeau !
Meqqran N Amar, 25 Juin 2024
Ecoutons donc les voix sublimes, de Noria et Melissa, dignes héritières de Matoub, chanter ses chansons.
Melissa chante « HYMNE A BOUDIAF » de Matoub en hommage à Matoub
https://www.youtube.com/watch?v=CvaUjfOCf8w
Noria chante Matoub: “ ammi azizen” en hommage à Matoub :
https://www.youtube.com/watch?v=cEvJkMcz2F4
Témoignage de Merzouk Allache sur Berbère TV : Sur les traces de Lounès Matoub à San Francisco.
A noter que contrairement à ce que disait Merzouk (que ACAA était dissoute), l’ACAA existe toujours et n’a jamais cessé ses activités depuis sa fondation en 1992.
https://www.youtube.com/watch?v=kNdGI-D-ZgU
Témoignage de Rabah At Umghar (2 épisodes) sur Berbère TV :
A noter que Merzouk et Rabah (anciens membres de ACAA) parlent de ACAA comme si ayant un rôle mineur alors que c’est ACAA qui avait organisé les deux concerts. Aussi, quand Matoub était parti en Californie, il s’était rendu d’abord à Los Angeles où il a été reçu par un membre de ACAA (Arezki B.). D’autres musiciens membres de ACAA l’ont accompagné quand il avait continué son chemin vers le Nord de la Californie.
Matoub Lounès en Amérique (Canada & USA), Rabah At Umghar raconte son séjour. 1ère partie.
https://www.youtube.com/watch?v=MW-E8iasoE8
2ème partie sur le séjour américain de Matoub
https://youtu.be/MBfm6l4nIbI?si=-h5WrhsUZxTxPUFU
Assassinat de Matoub Lounès : Témoignage exclusif de Kamel Haddad ; premier témoin arrivé sur les lieux, près de Tala Bounane à 4 km de Tizi Ouzou.
https://www.youtube.com/watch?v=BOaiY_64GCU